mardi 1 janvier 2013

Emmanuel Burdeau

Bonjour. Je vais juste dire quelques mots d’introduction à ces rencontres autour de la critique sur internet.

Deux étapes préalables ont mené à la rencontre de ce matin.

D’une part, comme vous le savez peut-être, le mois de juin cette année a correspondu aux vingt ans de la mort de Serge Daney, critique de cinéma, Serge Daney longtemps rédacteur en chef des Cahiers du Cinéma, longtemps responsable et même d’abord créateur des pages cinéma au sein de Libération, l’homme qui ensuite a créé la revue Trafic et qu’on reconnaît de manière assez unanime aujourd’hui comme l’un des très grands critiques, sinon le plus grand critique, non pas de tous les temps, mais de ces trente ou quarante dernières années. En tout cas une figure particulièrement importante et dont d’ailleurs la postérité aujourd’hui dépasse le cadre de la seule critique de cinéma. Mais laissons cela, ce n’est pas le thème du jour.

Il se trouve que le vingtième anniversaire de sa mort a suscité plusieurs types de rencontres, célébrations, colloques. L'une de ces rencontres s’est tenue à la Cinémathèque Française, à Paris, où plusieurs de critiques ont été invités à parler de la manière dont ils pensaient s’inscrire ou pas dans la continuité de Serge Daney. Or, ce moment là, il m’est apparu, comme à d’autres, et notamment à ceux qui sont ici à ma gauche, qu’il était un peu étrange de se demander ce que la critique était devenue sans inviter personne parmi ceux qui, aujourd'hui, exercent cette critique en ligne, via internet.

Comme beaucoup de gens, je suis un peu ce qui se passe sur les réseaux sociaux. J’ai pu constater qu’un certain nombre de représentants de ces sites – je ne peux pas dire qu’ils s’en sont plaints – trouvaient que ce n’était quand même pas tout à fait approprié. Pour parler de la critique aujourd’hui, faire revenir toujours les mêmes, Libération et d’autres – j’aurais dû choisir un autre exemple, Le Parisien Libéré ou L’Ecran Français, pour prendre des journaux qui n’existent plus – convoquer toujours les mêmes ne nous permettait pas vraiment de poser la question réellement au présent.

C’est un élément que j’ai retenu.

Ensuite, il se trouve que j’ai été invité, avec Christophe Kantcheff, rédacteur en chef de Politis, qui ce matin, va mener le débat, que nous avons été invités tous les deux à participer à un séminaire sur la critique qui s’est tenu aux Etats généraux du film documentaire de Lussas à la mi-août. Deux jours de discussion passionnées, extrêmement fortes, au cours desquelles, en fait, on n’a cessé, les uns et les autres, de faire référence à la critique sur internet, d’espérer avoir des interlocuteurs pour en parler plus précisément. Il y avait bien quelqu’un qui était là, qui anime un blog documentaire, mais en fait il était le seul. Et on a ressenti aussi ce manque, d’une façon un peu différente qu’à la Cinémathèque, le manque de critiques pouvant parler précisément, directement, de ce que c’est aujourd’hui, dans quelles conditions économiques, financières, humaines, dans quels projets, ceux qui font de la critique sur internet, le font.

L’idée de ces rencontres, dont je suis content de voir qu’elles attirent du monde, sont un peu les premières en la matière. De ces deux événements, le petit ratage de la Cinémathèque, si je puis dire les choses ainsi, puis la promesse énoncée à Lussas qu’on avait envie de prolonger, est née l’idée de faire appel à Christophe Kantcheff, qui, pour reprendre une expression chère à Sidi Sakho, était un peu mon allié – ou bien j’étais le sien lors de ces rencontres à Lussas –, l’idée de faire appel à lui pour mener les débats ce matin.

Christophe va présenter les quatre personnes que nous avons sollicitées.

Mais avant, je voudrais remercier Christophe d’avoir accepté cette invitation, venue un peu à brûle-pourpoint, remercier aussi les quatre intervenants d’avoir accepté, avec beaucoup de disponibilité et, je crois, d’envie, ce que je comprends, parce que c’est la première occasion qui nous est donnée de parler d'un fait extrêmement important aujourd’hui.

La dernière remarque que je voudrais apporter – je pense qu’effectivement tout ça va être développé – est que, comme je le disais déjà brièvement hier, contrairement à ce qu’on dit souvent avec un peu de paresse, un peu de hâte, internet aujourd’hui, certes c'est Allo Ciné et d’autres sites où les films sont évalués en deux lignes. Mais internet, c’est aussi et peut-être surtout, l’endroit où s’écrivent les choses les plus étonnantes, les moins dépendantes de l’actualité directe, les plus longues, les plus originales, c’est là que les moyens de la critique sont vraiment en voie de renouvellement.



Christophe Kantcheff

Merci Emmanuel et merci d’être ici. Je suis ravi d’être l’un des doyens de l’assistance étant donné le jeune âge du public. Je m’en félicite très vivement.

Deux petits mots pour remercier le festival de La Roche-sur-Yon, en particulier Emmanuel Burdeau et Yannick Reix, de mettre la critique toujours en avant dans les préoccupations du festival. C’est l’un des rares festivals… à vrai dire, je cherche dans ma tête, mais je n’en trouve pas, qui a un jury de la presse… mais ça doit exister ailleurs. C’est très, très rare, maintenant d’avoir des journalistes et des critiques qui viennent pour voir les films et délibérer autour des films de la compétition, qu’un festival mette en avant cette pratique de la critique, assez mal vue par ailleurs par les gens qui dirigent les journaux traditionnels. Cela mérite donc d’être salué.

La deuxième chose qui me réjouit, c’est l’effervescence de la critique encore aujourd’hui parmi ceux des générations qui me suivent – on peut dire ça comme ça. Ce n’est pas du tout évident dans d’autres disciplines. En particulier dans le domaine de la littérature que je connais assez bien, cette effervescence n'existe pas. On ne pourrait pas réunir quatre responsables de sites ou alors ce serait quelques écrivains qui ont une activité critique sur leur blog ou leur site. Mais de jeunes critiques, on peut en trouver, mais pas qui se fédèrent autour d’un site ou de plusieurs.

Ce matin, quatre sites de cinéma sont ici – enfin Sidi, lui, tient un blog mais il a participé à d’autres sites. D'ailleurs, ill participe toujours à Zinzolin. Encore plus réjouissant, c’est que ces praticiens réfléchissent à leurs pratiques. Cet exercice réflexif n’est pas du tout de l’ordre du narcissisme mais plutôt la tentative de trouver du sens à ce qu’on fait en même temps qu’on le fait. C’est un exercice assez difficile, mais je suis sûr qu’ils vont s’en sortir très très bien.





Christophe Kantcheff


On va commencer par des petites présentations personnelles pour faire connaissance avec vous :
Raphaël Nieuwjaer du site Débordements 
Simon Lefebvre de Zinzolin 
Sidy Sakho du blog Ceci dit (au bas mot) 
Christophe Beney d’Accréds qui est là avec Nathan Reneaud

Je vais vous demander d'expliquer très rapidement qui vous êtes, avant de parler des sites pour lesquels vous travaillez, et en particulier comment vous êtes arrivés à avoir envie de faire de la critique… Et puis votre âge en passant.

Raphaël Nieuwjaer

J’ai vingt-sept ans. Ça s’est fait un peu par hasard. Avant de créer le site, j’ai eu l’occasion de participer à un petit magazine, en fait, je n'avais jamais vraiment eu envie d’écrire des critiques. C’est l’occasion d’écrire dans des formats très restreints de 1 800 signes – 15 lignes peut-être – et après je me suis dit que je trouvais ça assez intéressant. A la fin de mes études, j’ai essayé de développer cette activité. Il se trouve que c’est assez difficile, surtout quand on n’habite pas à Paris, ne serait-ce que d’assister aux projections de presse, puisque forcément ça coûte cher de faire les allers retours… C’est assez compliqué si on ne connaît pas les gens. Finalement j’ai proposé à quelques amis avec qui j’avais fait mes études de lancer cette revue en ligne. Je ne suis pas critique depuis des années, ce n’est pas quelque chose qui m’anime depuis que j’ai quinze ans. Ça s’est fait comme ça, assez facilement.

Simon Lefebvre

J’ai vint-quatre ans. Zinzolin est une revue toute jeune. Elle est née exactement le 1er janvier 2012. Elle a été entièrement créée par Arnaud Hallet et son amie Anaïs Ebrard qui s’occupait du graphisme du site.

J’ai étudié le cinéma à l’Université de Caen. Maintenant je fais une thèse à Paris I. Pour ce qui est de l’écriture, j'étudiais le cinéma, la théorie du cinéma et on tenait un blog à Caen qui s’appelait Notre cinéma – un blog un peu dilettante. Le prolongement critique s’est fait parce qu’Arnaud Hallet me connaissait vaguement : il m’a appelé à participer à la revue Zinzolin. Après, ça s’est renforcé puisque je codirige le site avec lui.



Sidy Sakho

J’ai trente ans. Comment la critique a commencé pour moi… Contrairement à Raphaël, c’est une question d’adolescence, ou en tout cas de fin d’adolescence. J’ai découvert certaines revues de cinéma aux alentours de quinze, seize ans, genre Studio, Première, et ai tout de suite été fasciné par ce qui pouvait se créer comme événement autour du cinéma, autour des films. Pour moi, avant, les films étaient des choses qui passaient à la télé ou qu’on allait voir entre amis le weekend, sans plus. Je ne pensais pas qu’on pouvait autant parler, créer de la rencontre et du débat à partir de ces choses. J’ai découvert ces magazines et eu très vite le sentiment qu’il pouvait se passer quelque chose d’intéressant d’un point de vue humain, d’un point de vue social autour de ça, autour de cette expérience partagée, pour reprendre une expression de Serge Daney, du visionnage des films en groupe. J’ai ensuite découvert la fameuse revue que tout le monde connaît, les Cahiers du Cinéma, et ai été très vite fasciné par la densité, l’intelligence, la profondeur de textes consacrés à des films que je ne serais jamais allé voir spontanément. Et comme je suis quelqu’un de très curieux, je me suis demandé en même temps si j’étais capable de faire pareil. 
J’ai eu ensuite un parcours assez classique : études de cinéma, puis début de « carrière » il y a à peu près cinq ans sur un petit site qui a un peu grandi depuis nommé Il était une fois le cinéma. Voilà grosso modo comment tout a commencé.


Christophe Beney

Je suis le plus jeune des vieux puisque moi j’ai trente-trois ans. Je suis enseignant-chercheur en cinéma à l’Université. Je suis également journaliste de formation. J’ai travaillé dans ma prime jeunesse pour la presse quotidienne régionale, notamment pour le journal Sud-Ouest, pour L’Union en Champagne-Ardenne. Puis je me suis spécialisé dans la culture, et particulièrement dans le cinéma. C’est là que je suis devenu journaliste-pigiste pour la presse magazine, notamment pour les Cahiers du Cinéma, pour lesquels j’ai écrit pendant deux ans. Et puis ma fréquentation assidue des festivals de cinéma a fait qu’avec d’autres camarades, qui partageaient la même passion, la même envie, on a fédéré nos forces et on a créé assez récemment – depuis un an et demi à peu près – Accréds.fr, un site entièrement consacré à l’actualité des festivals de cinéma.

Christophe Kantcheff 

Comment fonctionnent vos sites respectifs et dans quel sens se dirigent-ils ?  Apparemment, tous les sites dont vous vous occupez sont très jeunes. Raphaël ? 


Raphaël Nieuwjaer


Débordements a commencé à peu près en même temps que Zinzolin au début de cette année, fin d’année dernière.

Comment ça fonctionne précisément… Disons que ça a aussi évolué avec la pratique puisqu’il est toujours assez facile de réunir une dizaine de personnes très enthousiastes. Quand il s’agit d’écrire les textes, ils se rendent compte qu’ils ne sont pas forcément publiés aussi facilement que ça, qu’il faut les retravailler, et évidemment l’enthousiasme s’épuise un petit peu.

Pour l’instant, on a publié les textes d'une dizaine de personnes. Nous sommes quatre, cinq à constituer vraiment le noyau dur. Ces quatre, cinq personnes constituent le comité de rédaction. Deux personnes, plus moi. Je me compte un peu à part, je vais expliquer pourquoi. Trois personnes lisent les textes, les commentent de manière assez pointilleuse, aussi bien sur la forme que sur le fond. Le but n’est pas tant d’avoir une vision au final assez lisse du film, la question c’est de proposer un texte qui aille jusqu’au bout de son idée, qui tout en étant assez précis, soit clair en même temps parce qu’il faut aussi se confronter à la lecture des autres, pour se mettre au clair sur ses propres idées parfois.



Christophe Kantcheff

Je n’aurais pas dû vous poser cette première question, j’aurais dû vous demander pourquoi vous l’avez créé.


Raphaël Nieuwjaer

J’ai essayé d’envoyer des textes dans des revues établies, que ce soit sur internet ou en papier aux Cahiers... Je n’ai pas eu de réponse, en même temps je pense que c’est assez normal, ils reçoivent sûrement je ne sais combien de trucs, de propositions de ce genre-là. J’ai proposé à quelques amis et il s’est trouvé qu’ils avaient envie de le faire aussi. Finalement, on ne s’est pas posé trop de questions.



Christophe Kantcheff 

Vous aviez une philosophie générale ? J’ai beaucoup cherché sur les sites. Des manifestes, des éditoriaux inauguraux. On en trouve par exemple sur Débordements. Mais le vôtre, pour ce qui est du premier édito, s'il parle à la fin de ce que Débordements veut faire, reste très succinct… 


Raphaël Nieuwjaer

La philosophie générale, notre ligne éditoriale n’est pas de privilégier tel type de films, se spécialiser dans ci ou ça. L’idée forte était plutôt de prendre le temps de parler des films – parce qu’on n’est pas suffisamment nombreux pour aborder toute l’actualité et que, d’une certaine manière, ça ne nous intéresse pas du tout – c’était vraiment d’essayer de prendre ce temps pour répondre présent à la proposition que peut nous faire un film, essayer de vraiment réfléchir, ne pas se limiter à un format d’un certain nombre de signes. La proposition forte sur le site – qui peut en rebuter certains – c’est de faire des textes assez longs, j’espère relativement exigeants, prendre le temps de parler des films, ne pas parler de tout.

Finalement, par mois, on publie trois ou quatre critiques au maximum, qui ne sont pas forcément les grands films du mois, pas forcément le dernier Resnais, ce n’est pas forcément le film d’auteur du mois, ce sont des films qui nous ont retenus pour une certaine question, ça peut être des comédies américaines qui en elles-mêmes ne sont pas forcément très bonnes mais qui peuvent nous interroger, poser des questions dans un système plus général de la comédie américaine, après, ça peut être le film en soi.

L’idée, c’est de prendre le temps de la critique et ne pas subir l’actualité quitte à ce qu’il y ait plein de trucs qui passent à l’as. On ne défend pas forcément de chapelle auteuriste. Comme on est peu nombreux, on peut partager un certain nombre de goûts.


Christophe Kantcheff

Ne pas suivre l’actualité, c’est aussi une préoccupation de Zinzolin ?


Simon Lefebvre

Oui, tout à fait. Ça pourrait être une ligne éditoriale : ne pas être esclaves de l’actualité. On partage là-dessus la même idée que Débordements. On ne se sent pas obligés de critiquer le film d’un auteur prestigieux qui sort. Pour continuer dans cette idée, ce qui nous intéresse est de prendre le cinéma de manière horizontale, c’est-à-dire de pouvoir accorder la même place, la même importance de discours à des films qui sont différents, de Fast furious 5 aux films de Wang Bing qui sont sortis cette année.

Ce n’est pas que les films, pour nous, se valent. Evidemment il y a des films que l’on trouve plus forts que d'autres qu’on trouve nuls, mais pour nous l’affaire de la critique, faire de la critique, ce n’est pas de dire que les films sont nuls mais pourquoi ils sont bons. C’est de voir comment ils sont traversés de cinéma, comment ils circulent entre eux, comment ils communiquent entre eux. C’est ça notre vraie préoccupation.

Dans les textes critiques, ce qui ne m’intéresse pas, c’est que le critique perd sa force et son temps à dire en quoi un film est nul. Alors que, pour le résumer autrement, ce que j’essaie de faire, c’est de dire : « Le film est mauvais, passons à autre chose, voyons ce qui le travaille maintenant, comment il résonne avec le monde, avec les autres films. » Ça rejoint la question, qui est sur le tapis, de la prescription de la critique.


Christophe Kantcheff       

Vous, vous avez fait un édito inaugural signé Arnaud Hallet où il est question de ligne éditoriale, mais où il est dit que vous ne savez pas exactement de quelle ligne il s’agira. 



Simon Lefebvre

Le site est créé, mais il continue de se créer. C’est quelque chose qui nous tient à cœur à Zinzolin, à savoir qu’il faut tout le temps travailler la critique. La notion de revue de cinéma sur internet, il faut toujours la réinterroger. On ne peut pas dire que Zinzolin a été créé vraiment le 1er janvier [2012], il a été mis en ligne, mais ça continue de se créer, ça continue de se modifier. Le comité de rédaction se modifie, pas en termes d’effectif mais de politique, d’organisation.

Pour continuer dans cette idée, il faut savoir qu’au départ Arnaud Hallet, le fondateur du site, souhaitait que la revue Zinzolin soit une revue papier, peut-être juste un numéro par an. Ça ne s’est pas fait faute de financement. Du coup, on a trouvé, logiquement presque, pour des raisons économiques, notre place sur internet avec tout de même, pas une ligne éditoriale, mais une phrase qui dit beaucoup de choses sur Zinzolin. Pour ceux qui connaissent le site, il s’organise en fonction d’une phrase qui est écrite, à savoir : «  En salle, en dehors, nous rencontrons, partout, le cinéma éparpillé ». Chaque expresion de cette phrase constitue une rubrique et c’est aussi valable pour nous : c’est valable pour la logique de revue et les films, mais aussi pour les rédacteurs qui la composent. C’est presque : Arnaud Hallet a rencontré les critiques des spectateurs éparpillé(e)s partout. On ne partage pas tous la même haute idée d’un cinéma ou du cinéma. S’il y a une ligne éditoriale, c’est d’essayer de réunir le cinéma éparpillé dans l’écriture. La vraie question qui nous travaille, ce sera sur la critique, éviter la prescription, travailler les films autrement.



Christophe Kantcheff

Vous seriez capable de dire ce qui distingue Débordements de Zinzolin ?


Raphaël Nieuwjaer

La manière la plus évidente, c’est le visuel du site.


Simon Lefebvre

Zinzolin, ça vient de la couleur. Arnaud Hallet souhaitait un titre énigmatique pour montrer que le site est un peu expérimental, un peu fou par moment, un peu caduc aussi.



Christophe Kantcheff

A part la distinction visuelle, sur la philosophie générale ? Parce que le fait de ne pas suivre l’actualité, apparemment ça signifie quand même une distinction très forte par rapport à la presse papier. Mais est-ce qu’il n’y a pas d’autre grande différence que l’aspect visuel ?


Simon Lefebvre


Débordements fait plus la jonction entre la critique et l’analyse universitaire que Zinzolin. Le mot « éparpillé » renvoie à une forme très courte de textes, de billets, de photos, presque parfois ludique. On y trouve peut-être moins ce côté qui tente de communiquer avec l’analyse universitaire.


Raphaël Nieuwjaer

En fait, la différence est assez simple. On publie des textes relativement plus longs.

Je trouve que Zinzolin, d’une certaine manière, est plus libre éventuellement dans ses formes. Il a la possibilité d’inventer des choses que nous ne publierions pas. La différence se fait vraiment là.

Même si je respecte tout à fait le travail de Zinzolin, on ne publierait pas ce qu’ils publient et je pense qu’ils ne publieraient pas ce qu’on publie. Il y a une manière différente d’approcher. Il est arrivé qu’il y ait dans Zinzolin des poèmes, des manières différentes de travailler le rapport entre la vidéo et le texte, des choses que nous ne faisons pas.

Après, la critique est une part importante qui constitue à peu près la moitié des textes que l’on a publiés jusqu’à présent mais qui ne constitue pas toute notre activité de publication. Il y a aussi des textes de « recherche pure », des trucs universitaires sur des questions assez pointues sur les rapports du cinéma et de la vidéo qui n’intéressent pas forcément tout le monde, je m’en rends bien compte. Mais en même temps, je pense qu’à l’intérieur du site, il y a une circulation entre tout ça et que la critique se nourrit de ce travail universitaire. Voilà ce qui nous intéresse aussi c’est de rendre poreuses ces distinctions, ces frontières. D’une certaine manière puisque Daney était un peu le nom qui nous rassemblait, c’est aussi ce qui s’est produit avec Daney, puisque finalement de critique, même de presse quotidienne, il est passé dans l’université. C’est un des très rares critiques avec Bazin dont les textes sont parvenus à l’université, même s’il y a des universitaires qui sont très critiques sur Daney. C’est quelqu’un qui est revenu à l’université. Je pense que Daney n’aimait pas beaucoup les universitaires. Trafic se défendait d’être une revue universitaire, même s’il y a des gens qui sont à l’université qui écrivent dans Trafic.

C’est une distinction qu’on essaie de résorber un peu, on essaie de montrer qu’il y a une circulation dans la réflexion. Tout le monde a fait des études en cinéma à l’université, ce serait un peu illusoire de se dire « Nous, on fait de la critique pure, on n’a rien à voir avec l’université. » Après, c’est aussi au niveau de l’exigence de ce qu’on va travailler dans un texte, on met des notes de bas de page, des références à des textes. Parfois, ça peut sembler un peu prétentieux. Qu’est-ce qui distingue la catégorie « rubrique » de la catégorie « universitaire » ? Ce n'est pas forcément grand-chose. Parfois on commence un texte et on se rend compte qu’il va être très long et on le met dans la catégorie « recherche ».



lundi 31 décembre 2012

Christophe Kantcheff

Sidy, vous, vous tenez un blog maintenant ?


Sidy Sakho

Difficile pour moi de parler de mon blog sans partir de ma participation durant quatre ans à Il était une fois le cinéma.com, un site qui, lui, avait vocation à couvrir toute l’actualité du cinéma, à l’instar d’autres comme Critikat.com, où officie notamment Mathieu Macheret. 
Sans en être le fondateur, disons que je connais l’état d’esprit de départ de ce site, qui avait lui-même commencé sous la forme d’un blog. Jean-Michel Deroussent, jeune homme passionné de cinéma, avait pour motivation première, lors de la création de l'association du même nom puis du site, de publier des mémoires. Les siens, ceux de ses amis, d'amis d'amis, d'inconnus… Jusqu'à ce que s'impose avec le temps l'envie d’élargir son audience. Il a voulu parier sur la possibilité de créer une vraie revue de cinéma en ligne, en ayant accès aux projections de presse, en établissant un contact régulier avec les attachés de presse, en constituant une équipe, avec rédacteur en chef, relecteurs, chefs de rubriques, rédacteurs réguliers ou occasionnels, conseillers éditoriaux. Il y est parvenu à l’usure, avec l'aide du comité de rédaction, au bout d’une bonne année. Je suis arrivé à peu près à cette période où le site commençait à trouver son identité, installer son rythme de croisière. Au bout d’un an et demi, suite à nombre de bouleversements au sein de l'équipe d'origine, je suis donc devenu rédacteur en chef d'Il était une fois. Et lorsqu’on devient rédacteur en chef d’une publication, quelle qu'elle soit, on se pose tout de suite au moins cette question : « Par où commencer ? »

Je ne me suis jamais posé la question de me distinguer des revues papier, au contraire. N’ayant, avant de commencer à écrire, lu que des revues papier, je ne pouvais me soustraire totalement à leur influence. Il me fallait donc commencer par réfléchir à ce que l’on appelle la « ligne éditoriale », même si ce terme reste à redéfinir encore et encore. On peut à ce sujet parler de la périodicité. Sur un médium aussi actif qu'internet, on ne peut, sous peine de mort du titre, absolument pas se permettre d’être mensuel. La couverture de l’actualité, la sélection hebdomadaire des films prioritaires devient donc très vite la matière première de ladite ligne.


Au bout de quatre ans, j’ai eu besoin de partir ailleurs, de me libérer de cette pression trop grande au vu des conditions précaires d'animation du site pour revenir un peu à moi-même, à mon besoin de départ d’écrire, tout simplement. Il me fallait comprendre à nouveau ce qui m’avait amené à vouloir écrire sur le cinéma. J'ai alors ouvert ce blog,  [ Ceci dit (au bas mot) ], où il fut dès le départ évident que je parlerais avant tout des films vus tout au long de mon déjà long parcours de spectateur et méritant, que je les aime ou non, que je leur consacre enfin un article digne de ce nom. Mais je ne voulais pas non plus faire de ce blog le seul lieu de Sidy Sakho, mon petit territoire tout égocentré. J’avais, pour reprendre mon terme d'introduction, envie de créer de la rencontre et, pourquoi pas, de la rencontre avec d’autres personnes qui font la même chose que moi, sur le net, sur le papier... des personnes très connues, des personnes pas connues du tout, des personnes qui adorent Godard, des personnes qui détestent Godard.

J’ai très tôt été interpellé, lors des projos presse, par le silence parfois pesant qui y règne  On est réunis dans une même salle, mais rien ne circule avant ou après le film. On se dit « bonjour » à la rigueur, si l'on est pas trop mal luné, tout en se jetant des regards de killers du coin de l’œil (j'exagère à peine !). J’ai du coup, toujours par curiosité, voulu comprendre, comme un enfant un peu naïf ou un idiot du village, c'est selon, ce que disait ce silence, de nous, « les critiques », mais surtout de notre contemporanéité, du partage finalement pas si simple de cette passion et cette discipline nous réunissant tous les jours dans une même salle. Y a-t-il  réellement opposition ou le motif de cette non-circulation, cette non-communication est tout bêtement inhérent à notre « profession » (immenses guillemets) ? Y avait possibilité d’instaurer un dialogue, sur mon modeste blog, avec une poignée de confrères, au moins ceux que je connais par la lecture régulière de leurs texte ? Est-ce que quelque chose de notre expérience commune de l'écriture sur les films est partageable ? Le titre de cette forme de rubrique, de cette « série »  – comment la qualifier ? – que j’ai lancée cet été, « Paroles d’alliés » repose sur ces questions. J’ai déjà interviewé les fondateurs de Débordements (Raphaël) et Revue Zinzolin (Arnaud Hallet) ainsi que Nathan Reneaud d’Accréds mais convierais  volontiers  mes deux autres camarades, Christophe et Simon. On en reparlera si vous voulez. 







Christophe Kantcheff

Allié, c’est-à-dire ? Tous les intervenants, tous les critiques ou les journalistes que vous interrogez, vous les considérez comme des alliés ? C’est-à-dire, quand vous allez voir – je vais faire un peu de provocation – Jean-Michel Frodon, c’est aussi un allié ?


Sidy Sakho

Ah, ce terme d’allié... Je vais revenir à l'origine de ce titre tout en signalant que déjà, le nom du blog – un jeu de mots un peu fun autour de mon prénom – m'a valu nombre d'explications (syntaxiques notamment, car on ne devrait pas dire "Ceci dit"). La plus simple étant que moi non plus, comme Zinzolin, je ne voulais pas employer le mot « cinéma », exploité dans tous les sens…

Les "Paroles d’alliés", qu’est-ce que c’est ? Comme j'ai dit, une sorte de rubrique que j’ai voulu créer pour donner à ces entretiens une place à part sur mon blog. Faut-il vraiment tenir compte de ce terme d’allié ? Je me pose de plus en plus la question. Au moment où j’ai lancé cette initiative, j’avais juste envie de parler avec d'autres critiques, que je partage ou non leurs goût, vision ou méthode. C’aurait pu s’appeler Sidy rencontre untel, mais non, j’ai appelé ça Paroles d’alliés, en référence à un film de Raymond Depardon dont j’aimais le titre, Paroles d’appelés. Ce mot, "allié", est donc surtout une affaire de rime. "Paroles de confrères" m'aurait semblé plus lourd, moins musical... Reste que les nombreux retours que j’ai eus concernant ce titre m’ont progressivement fait comprendre que ce seul mot, "allié", en interpellait plus d’un, y compris parmi les participants, dont certains se sont même sentis "trahis" après coup, au vu des autres personnes que j'interviewais !



Christophe Kantcheff 

C’est comme s’il n’y avait pas de rapport de force entre les intervenants, entre les critiques, même débutants, comme s’il n’y avait pas d'oppositions idéologiques. Il ne faut pas réduire ça à des questions de personnes, des antagonismes psychologiques mais plutôt à des positions défendues. Le terme d’allié est tellement consensuel quand il est distribué à tout le monde que je m’interroge personnellement… Mais je ne crois pas être le seul à m’interroger sur cette absence de vision-là…


Sidy Sakho

Certes, mais c’est pour ça que je veux revenir à l'origine de cette initiative, qui ne peut pas être détachée de celle du blog lui-même.

Au départ, mon but était le plus simplement du monde d'échanger, par le biais d'une interview, avec des critiques avec qui j’avais envie de parler de cinéma et d'écriture depuis longtemps, dont certains sont même à l'origine de mon propre désir d'écrire aussi. Donc la question de l’opposition, je ne me la posais pas du tout, je tiens vraiment à être clair et très honnête sur ce point. Je voulais juste interroger des personnes que j’avais beaucoup lues pour la plupart, parmi lesquels figurent d'ex-collègues devenus amis (ou pas), d'autres jeunes critiques dont j'ai repéré les articles sur d’autres sites... Cette question de l’opposition s'est donc infiltrée au fur et à mesure, un peu à mon corps défendant. Du coup, elle me dépossédait, ou plus précisément allait commencer peu à peu à me déposséder de ma propre envie de départ. C'est je crois à partir de la publication de mon entretien avec Jean-Michel Frodon, qui a pas mal fait réagir en raison de son manque de rapport "évident" avec par exemple Arnaud Hallet, le fondateur de Zinzolin, que j'ai commencé à prendre autant de temps à mener cette série qu'à justifier le choix de mes invités.

S’est alors, seulement à ce moment précis, posée la question de ce qui distinguait ou réunissait réellement tous mes invités. Comment, dès lors, ne pas en tenir compte, de cette question ? Aussi, depuis quelques entretiens, j’invite de plus en plus les participants à  me faire part s'ils le souhaitent de ce (ceux) contre quoi  (qui) ils écrivent plus ou moins consciemment. 

Raphaël s’en est donné à cœur joie et je trouve ça bien. Il refuse l’idée d’adoubement d’internet par la presse officielle et c’est tout à son honneur. Je trouve ça très bien bien de suivre sa propre ligne en sachant que l’on n’a besoin d’aucune forme de légitimation.



Christophe Kantcheff

Raphaël, il y a un refus très fort du social dans votre intervention, de la légitimation sociale et ce qui est amusant, c’est que d’une certaine façon, on est en train de vous légitimer socialement sur cette scène. Donc, vous n’y échappez pas.


Raphaël Nieuwjaer

J’avais parlé de cette invitation qui nous réunissait sous le nom de Daney. La question c’était, Serge Daney, vingt ans après : la critique sur internet. On peut se demander quel est le rapport entre Serge Daney et la critique sur internet. C’est sûr qu’il s'est écoulé vingt ans depuis sa mort, mais en même temps… Le fait d’associer Daney à notre présence, c’est une manière de légitimation, c’est certain, puisque notre lectorat est relativement limité. Il y avait une procédure de légitimation, mais en même temps comme l’a dit Emmanuel Burdeau, c'était une manière de répondre à ce qui s’est passé à la Cinémathèque. Moi, je ne me situe pas du tout dans ce jeu de question-réponse. Je suis très content d’être invité, de pouvoir discuter. Finalement, la prochaine étape, c’est que soient indifféremment invités des gens qui écrivent sur internet ou sur le papier et qu’ils soient là parce que ce qu’ils font est intéressant.

Je ne reviendrai pas sur ce terme d’allié qui a pu évoluer au fur et à mesure des interventions, je n’ai pas tout lu, mais c’est vrai qu’on retrouve une certaine forme de consensus pour dire : « Oui, ce qui se passe sur internet c’est très bien » même si les gens ne lisent pas forcément. Je suis bien conscient que tous les gens de la presse papier ne passent leur temps sur internet à lire ce qui se passe. Moi-même, je ne passe pas mon temps à lire tout ce qui est écrit dans la presse papier parce que ça prend énormément de temps, ce n’est pas forcément très intéressant. Il y a tout un processus de légitimation sociale où les critiques se reconnaissent entre eux, se nomment, répondent à l’appel d’une certaine manière. Moi, j’ai répondu à l’appel de Sidy Sakho au nom de la revue parce que je trouvais que c’était une initiative intéressante, qu’il y a des choses très intéressantes qui s’y disent. 

On habite tous à Lille, ça nous place assez loin du jeu des croisements aux projections de presse. On voit les films comme tout le monde quand ils sortent, ce qui fait qu’on en parle une semaine, deux semaines après leur sortie. On ne va pas spécialement aux avant-premières. Bref on ne participe pas trop de tout ce jeu social. On fait nos trucs, on est assez contents qu’il y ait de plus en plus de lecteurs. Qu’on ait ce genre de reconnaissance, c’est la reconnaissance de notre travail, après on s’inscrit pas du tout dans un jeu social où il y aurait des places à récupérer. 



Christophe Kantcheff 

Sidy, un tout petit mot encore, et je vais ensuite passer la parole à Christophe Beney.


Sidy Sakho

Je voudrais revenir sur cette idée de consensus. Je vois tout à fait ce qu’on veut dire. Il y a à peu près trois semaines, sur Facebook, l'intervention ma foi très enrichissante d’un autre blogueur qualifiant mon blog « d’affligeant, dans lequel les critiques s’entre-lèchent », m'a fait un peu tiquer. En gros, il a résumé cette initiative à ça : les critiques passent leur temps à se taper sur l’épaule en se disant : « C’est bien, nous faisons le même métier. » Je pense pour ma part, et même en prenant du recul sur mon travail, que ça ne se limite pas à ça. Si on lit attentivement chaque entretien – je ne dis pas que tous ont la même pertinence – depuis le début, on voit qu'il se dit des choses très différentes. Je n’ai pas l’impression par exemple que Joachim Lepastier dise exactement la même chose qu’Arnaud Hallet. Je n’ai pas l’impression qu’il n’y ait que de l’amitié dans ces Paroles d’alliés. C’est aussi pour ça que j’ai voulu jouer mon propre jeu, m’auto-interviewer. Moins par narcissisme, moins par envie purement conceptuelle que pour essayer de comprendre ce que je cherchais moi-même. Je suis loin d’avoir envie de mettre dos à dos la critique internet et la critique papier, mais je n’ai pas envie non plus de me contenter d’inviter des gens à faire leur portrait, à présenter leur site. Je pense que ça doit aller plus loin. Et ça a commencé à aller plus loin, notamment avec l’intervention d’un jeune homme, Thomas Clolus, qui, lui, a écrit puis décidé d’arrêter d’écrire. Il ne faut pas généraliser non plus. 


Christophe Kantcheff 

Christophe, parlez-nous de la fondation d’Accréds et de sa philosophie.


Christophe Beney

Nous avons une ligne éditoriale extrêmement claire. Ça se résume en une phrase qui est l’actualité des festivals de cinéma. Donc on parle des films et de ceux qui les font tout simplement sous l’angle des festivals. En même temps, on relaie tout ce qui a trait à la vie des festivals, à l’organisation des rencontres, leurs créations, leurs suivis… Ça a été le fruit d’un long cheminement intellectuel mais il nous est apparu comme une évidence que le seul moyen de relayer efficacement l’actualité des festivals, c’était de passer par le numérique. Le papier était trop rigide par rapport à notre approche.

Je vais prendre un exemple simple : prenez un film comme Tabou qui est projeté demain au festival et que je vous conseille vivement. Tabou est un film qui aura eu une longue vie en festival avant de sortir à la fin de l’année en France. Il a été présenté à Berlin, à Paris Cinéma, ici à La Roche-sur-Yon, et dans d’autres festivals. Si on parle de ce film dans une publication mensuelle papier, comment fait-on ? 

On en parle en février une première fois, puis on en reparle en juillet quand il refait l’actualité d’un autre festival, on reprend les mêmes articles ou on en écrit d’autres, on en remet une couche et on refait ça encore une troisième fois, une quatrième fois. Ce n’est pas possible. On a besoin de pouvoir s’appuyer sur une base de données, qui n’est pas rigide, qui peut être complétée mais dans laquelle on peut puiser ensuite en mettant en avant certains titres, certaines rencontres en fonction de l’actualité qui est guidée par la vie des festivals de cinéma. Pourquoi fait-on ce choix du numérique ? Ce n’est pas seulement un aspect pratique, c’est aussi une raison technologique. 

Je ne suis pas foncièrement un Apple addict (si, en fait, je suis un geek, mais c’est accessoire) mais il y a une espèce de petit Jésus technologique qui est arrivé sur terre qui est le Ipad, c'est vraiment l’avenir, pour moi, de la parole, du papier et de la vidéo. Quand les prix seront un peu plus démocratisés, ça permettra à tout le monde d'avoir accès aux multimédia, d'où qu’ils soit. En particulier avec le développement des réseaux Wi-Fi, de la 3G, de la 4G. 

Donc, les outils sont là. Si on avait parlé de la critique sur internet il y a dix ans… vous imaginez, vous êtes devant votre ordinateur qui fait plus ou moins un bruit de tondeuse, qui bugue une fois sur deux si vous avez un PC… Le choix est vite fait entre lire des critiques là-dessus, aussi bonnes soient-elles ou feuilleter sa publication habituelle aux toilettes, dans son salon, dans les transports en commun. Donc si on se développe sur internet, en tout cas pour ce qui nous concerne à Accréds, c’est aussi parce que la technologie est là, elle est à portée de mains, il n’y a pas de raison de freiner, en quelque sorte.




Christophe Kantcheff

Ce qui est assez précieux, dans le travail que vous faites, c'est que ça ressemble un peu à une petite agence de presse, une AFP des festivals de cinéma.


Christophe Beney

Oui. Et c’est comme ça que ça fonctionne. Le site est gratuit évidemment. L’économie du net est globalement basée sur la gratuité pour le lecteur mais nous avons un principe simple, c’est une espèce de principe temporel même si, dit comme ça, ça paraît un peu absurde, c’est qu’en haut de notre home page, vous avez les articles persistants, ceux qui ont une longue durée de vie et en bas de gauche à droite, vous allez de plus en plus vers l’éphémère, donc vers twitter. Pour nous c’est primordial d’avoir un fil twitter alimenté très régulièrement parce que l’actualité des cinémas, elle est double, elle est triple, c’est « maintenant », c’est « avant », c’est « après ». On ne va pas publier une information pour donner le compte-rendu, le palmarès d’un festival alors que, dans la minute où ce palmarès est annoncé, il est diffusé partout sur twitter. Nous, on est personne. Ce n’est pas parce qu’on annonce, nous, le palmarès qu’il aura plus de valeur aux yeux du lecteur. N’importe qui peut le lire sur twitter. On a notre fil twitter et on peut relayer des informations aussi succinctes. Ça fait partie d’un travail , un travail de journaliste.

Vous faisiez référence à cette organisation d’agence de presse. On part du principe que chacun de nos journalistes, chacun de nos rédacteurs est une espèce de micro-rédaction à lui tout seul. C’est très pénible comme conditions de travail. Si jamais vous voulez travailler pour Accréds, sachez que c’est très difficile et qu’en plus pour les festivals, on a une vie commune qui suppose d’encaisser les ronflements de votre voisin la nuit. Il ne suffit pas d’avoir un dictaphone, c’est indispensable, un appareil photo numérique, c’est indispensable, un ordinateur portable, un laptop, aussi, et il faut en plus des boules Quiès pour pouvoir supporter la vie en colocation. Mais c’est cette autonomie. Le danger, c’est l’éparpillement, le danger ce serait que chacun fasse son site d’un côté et qu’à la fin, on se contente de publier, qu’on soit juste un tuyau qui encaisse les participations. On échappe à ça pour le moment, en tout cas je l’espère, j’en ai le sentiment, ne serait-ce que parce que, lorsqu’on est invités, quand on couvre un festival, à vivre 24 heures sur 24, il y a une espèce de pensée commune qui s’organise.



Christophe Kantcheff

Puisque vous soulevez cette question-là, je voulais justement vous parler de l’idée qu’une vraie partie de votre travail est journalistique. Est-ce que ça impose que vous cherchiez quand même des informations en avant-première, du coup l’effet un peu scoop, ce qui signifie avoir des relations assez privilégiées avec les directeurs de festivals ? Et sous-question, puisque vous venez de l’évoquer, est-ce que le fait d’être invité influe sur les critiques que vous pouvez faire des films qui sont présentés ?


Christophe Beney

En ce qui concerne la première question, meilleures sont les relations avec les festivals, plus tôt arrivent les informations. C’est un échange de bons procédés. Maintenant, il y a des calendriers qui sont respectés, donc on peut se passer du copinage. Le tout c’est d’être réactif. Par exemple, quand on annonce la sélection du festival de Cannes, il faut simplement être là dans la conférence de presse, relayer tous les titres qui sont donnés en temps réel sur twitter et sur Facebook, préparer en parallèle l’article – on est trois chacun sur notre écran – et activer l’article sitôt la conférence de presse finie. Là, comme vous dites, on est dans le scoop. Pour parler vulgairement, à ce moment-là, on fait du clic. Les gens ont envie de connaître à midi une la sélection officielle de ce festival. A midi deux, vous êtes déjà périmé, vous êtes déjà un synthétiseur, c’est-à-dire une phrase qui défile en bas sur e‑télévision. A midi trois, vous êtes oublié, on est déjà passé à autre chose. Donc il faut être réactif immédiatement.


En ce qui concerne nos relations avec les festivals, il nous arrive d’être invités par des festivals, et on leur en est reconnaissants évidemment, mais la condition sine qua non, c’est une liberté totale en matière éditoriale. Si un festival nous invite, évidemment on parlera de lui, puisqu’on en a envie, sinon, on ne ferait pas ce travail, mais c’est une liberté totale. 


Christophe Kantcheff

Et même sur l’organisation du festival ? Ou sur le fait que le festival pourrait par exemple, à vos yeux, ne pas travailler suffisamment avec le public…


Christophe Beney

Même sur l’organisation. Je croise les doigts, j’espère que cela n’arrivera pas mais on n’a pas eu d’expérience déplorable en festival. En général un festival se passe bien. Est-ce qu’on a eu du pot, est-ce que c’est notre présence qui fait que tout se passe bien, est-ce qu’on est des porte-bonheurs ? En tout cas, coup de pot, ça marche bien. On n’a pas besoin de casser du sucre sur le dos des organisateurs. Sur des choix, on s’exprime. Quand on juge par exemple qu’une sélection à nos yeux n’a pas grande valeur on le dit et on l’explique. Après à chacun de ménager ses susceptibilités, si l’année d’après, le festival ne veut plus de nous, ça le regarde.


Christophe Kantcheff 

Est-ce que vous arrivez facilement à avoir cette gymnastique intellectuelle d’être sur le plan journalistique dans la réactivité pure qui est le sport le plus couru parmi les journalistes sur internet et, d'un autre côté, de prendre le temps et la durée que nécessite le travail critique, qui, lui, s'inscrit dans la durée ?


Christophe Beney

Ça se fait naturellement. On est guidés par la programmation des festivals. Je vais prendre deux exemples simples quand on parle de réactivité. A la dernière Mostra de Venise le film d’Harmony Korine était présenté et au casting figurent Selena Gomez et Vanessa Hudgens qui sont des jeunes femmes probablement très intéressantes ; le problème n’est pas là, ce qui est important c’est qu’elles ont une notoriété telle, qu’il faut qu’on parle d’elles immédiatement. Donc il faut être réactif. S’il y a une vidéo, il faut donner la vidéo parce qu’on a des lecteurs qui attendent ça.

Mais on a aussi la possibilité d’être dans le long terme.

Un autre exemple serait celui d'Holy Motors où on a eu toute une succession de répliques sur le site. On en a rendu compte de suite au moment de sa projection à Cannes, on est revenus dessus au moment de sa découverte en salle, on est revenus dessus encore une fois après, ce qui nous a permis de développer un tryptique qui rend compte d’une manière plus complète, plus fidèle du film.

Donc on fait ce grand écart permanent et je dirais qu’on n’a pas besoin de se poser la question de quand le faire et dans quelles circonstances le faire. Ça se dégage parce que la vie du festival fait qu’on nous pointe du doigt ce qui doit être dit immédiatement et on nous invite à laisser infuser d’autres rencontres, d’autres films pour essayer de développer un discours plus pertinent.



dimanche 30 décembre 2012

Christophe Kantcheff 

On va refaire un tour de table, cette fois sur les questions matérielles en groupant deux types de questions. Du point de vue du partage des rôles : comment les équipes s’organisent-elles ? au sein de l’équipe, y a-t-il un rédacteur en chef ? comment les films sont-ils partagés, qui écrit sur quoi et comment ? Puis la question de l’économie du site : est-ce que le site dégage un peu de revenus et si non, ou si "oui, mais pas suffisamment", comment faites-vous, vous, pour vivre, tout simplement ?



Raphaël Nieuwjaer

Pour la deuxième question, le site ne rapporte absolument aucun argent. Mes amis sont en thèse, donc ils donnent des cours à l’université. Moi, je publie quelques critiques rémunérées. De toute façon, en général, écrire des critiques, c’est très mal payé.

Après je fais des interventions dans les lycées sur le cinéma et ce qui me rapporte le plus d’argent, finalement, c’est que je viens de travailler quatre, cinq mois à la SNCF pour pouvoir vivre le reste de l’année en gagnant un argent assez limité. Je m’autorise ce luxe d’être pauvre et de faire ce que je veux de mon temps. Ce qui n’est pas si mal.

Là, on vient de commencer, il y a huit, neuf mois, on est dans l’enthousiasme des débuts. Si d’ici un an, ça ne rapporte strictement aucun argent… C’est sûr que ça prend beaucoup de temps, c’est beaucoup de travail. Ce sont des questions auxquelles on devra se confronter et auxquelles on n’a pas encore vraiment de solutions. Puisque déjà dans la presse papier, c’est très mal payé, est-ce qu’on peut gagner de l’argent sans mettre partout d’affreuses publicités sur internet, c’est une question. Nous, on n’a pas trop envie de mettre de la pub.




Christophe Kantcheff 

J’ai oublié de le dire, mais tous vos sites et blogs sont gratuits pour les lecteurs.


Raphaël Nieuwjaer

Oui. Comme l’équipe est assez restreinte, l’organisation est assez facile. Sur la critique elle-même, pour l’instant on est trois. Il faudra commencer à inventer des pseudonymes, sinon ça va finir par être ridicule. Ça s’organise assez facilement d’autant plus que si deux personnes ont envie d’écrire sur le même film, c’est tout à fait possible. Par exemple sur les deux films de Wang Bing qui sont sortis cette année, on a écrit deux textes, ça ne pose pas de problèmes. On avait une perspective assez différente.

Christophe Kantcheff 

Vous ne tranchez pas ? Vous faites comme Télérama, un Ulysse joyeux et un…


Raphaël Nieuwjaer

Non, non, le calvaire de la critique, ce sont les notes, les Ulysses, les étoiles. En général, on regarde le petit personnage qui sourit et ça suffit. Il n’y a pas vraiment besoin de lire le texte.

Nous, on n’a absolument pas ça et d’une certaine manière, le premier compliment qu’on peut nous faire, c’est qu’on ne sait pas si l’auteur a aimé le film à la fin. L’enjeu, ce n’est pas vraiment de savoir si on a aimé le film, de savoir si untel, qui en plus n’est connu ni d’Eve, ni d’Adam, a aimé le film. C’est plutôt de voir ce que le film a à dire et réfléchir à partir de ça avec le film.

Christophe Kantcheff

Comme vous disiez que ces deux articles avaient deux optiques différentes, cette différence se fondait sur quoi ?

 Raphaël Nieuwjaer

Là, c’est un peu particulier, parce qu’en fait, il y avait deux films de Wang Bing, un version documentaire, un version fiction, moi, j’avais vu uniquement la fiction, donc j’avais une perspective un peu différente de celui qui avait vu les deux films. J’avais orienté ma critique d’une manière différente, mais ça remonte à quelques mois, je ne me souviens plus exactement. Les deux textes pouvaient exister, les deux textes avaient chacun quelque chose à dire, enfin je pense, et on a publié les deux.

Christophe Kantcheff 

Vous allez voir les films dans les salles de cinéma de Lille ?


Raphaël Nieuwjaer

Oui, c’est assez banal, on est des gens très ordinaires après tout. Mais du coup comme on est à Lille, tout ne nous arrive pas ou ça nous arrive par internet, par voie illégale dans des qualités pas forcément très bonnes. Du coup, il y a aussi cette perspective, le fait d’habiter a un certain endroit, ça crée une perspective différente sur la critique, sur ce qu’est l’actualité du cinéma, puisqu’ici on n’est pas à Paris, tous les films ne passent pas ou alors avec peut-être un mois de retard. C’est la même question, : c’est quand le moment de parler d’un film ? Ce n’est pas forcément le jour de sa sortie uniquement parisienne. Par exemple Damsels in Distress a été loué par la critique et le film n’est sorti qu’à Paris. Je l’ai téléchargé, je l’ai vu, je n’ai rien écrit dessus, mais c’est une difficulté aussi de faire une critique à un certain endroit, dans certaines conditions.

Christophe Kantcheff 

Je tiens à préciser qu’aucun ici ne pratique les petites étoiles Je le précise parce que c’est un autre sport très en vogue pour ce qui est des journaux, on en touve dans des endroits très surprenants, auxquels on ne s’attendait pas. On voit des petites étoiles même sur des sites, je ne parle pas de Ciné Live, je parle de sites de journaux, type Les Inrocks ou Télérama ou Le Monde

La deuxième chose, c’est qu’on a l’impression que vous préférez, même si vous ne le dites pas explicitement, que vous souhaitez que les textes soient lus une fois le film vu plutôt qu’avant.



 Raphaël Nieuwjaer

Brièvement : oui, sûrement, c'est mieux parce qu’on peut révéler des informations sur le film et c’est très mal !

Mais à vrai dire, on s’en fout complètement.

En général, on parle de tout, on parle de la fin. On propose une analyse du film dans sa globalité, on ne va pas se dire, non, les gens n’auront pas vu le film. J’espère qu’éventuellement, si on a envie de le lire avant ou si on a envie de lire quelques lignes avant pour voir un peu… En même temps, je ne me fais pas trop d’illusions, je ne sais pas si les gens vont consulter notre site pour se faire un avis avant pour savoir s’ils vont aller au cinéma ou pas. Ce serait quand même un peu prétentieux. C’est mieux de le lire après. On n’est pas du tout un relais prescriptif, ne serait-ce que parce qu’on a un lectorat assez limité. Nous, on est plutôt le truc qui vient après.

Christophe Kantcheff

Simon, sur les équipes et sur l’économie du site ?


Simon Lefebvre

C’est comme les autres sites. On ne dégage aucun argent. On doit payer l’hébergement du site une fois par an. Et sur la question de comment on arrive à vivre, il n’y a aucun expert en cinéma à Zinzolin qui peut consacrer son temps à ça. Il y a peut-être moi, j’écris une thèse et j’ai tout mon temps à accorder aux films et à l’écriture. Sinon, on a des gens qui font des saisons, du baby-sitting, qui vivent comme ils peuvent.

Concernant l’organisation du site, Arnaud Hallet est rédacteur en chef, moi, je suis rédacteur en chef-adjoint. On a un comité de rédaction. Le comité de rédaction, c’est un terme pour définir qui est au travail chez nous qu’on réinterroge tout le temps. Dans les premiers mois, il était déjà désigné ainsi sur le site, mais ce n’était alors pas vraiment un comité de rédaction, dans le sens où il n’y avait pas de travail commun, de travail de relecture. A l'époque, il s’agissait surtout de lancer le site, chose qu’Arnaud a très bien fait, presque tout seul. En fait, on évolue comme ça. Pour le travail, Arnaud et moi, on travaille beaucoup ensemble. On parle beaucoup, on réfléchit beaucoup sur la manière de l’améliorer, comment faire bouger les lignes sur Zinzolin.

Christophe Kantcheff

Vous allez en salles de projection ?


Simon Lefebvre

On a accès aux projections de presse, on reçoit des invitations pour les projections de presse. Certains y vont, d’autres pas. Moi, par exemple, je fuis un peu les projections de presse, non pas que je porte un jugement nécessairement là-dessus, mais j’ai besoin, pour aller au cinéma… d’aller au cinéma. Je suis déjà allé deux fois en projections de presse, j’avais besoin de retourner au cinéma, d’acheter ma place dans une salle vide ou pleine, enfin, aller au cinéma, j’ai besoin de ça. L’accès aux projections de presse peut être pratique quand on veut qu’un article sur un film soit publié le jour de sa sortie pour plus de réaction, peut-être. C’est une chose qu'on ne fait pas souvent sur Zinzolin. Pour quatre-vingt-dix pour cent du temps, on va voir les films en salles les mercredis. On peut écrire bien plus tard.

Christophe Kantcheff

Vous ne faites jamais de commandes, de papiers, d’interventions ?


Simon Lefebvre

Non, jamais de commandes de textes.

Christophe Kantcheff

De commandes ou d’injonctions. « Il faudrait vraiment parler de ce film-là. »


Simon Lefebvre


Si, c’est dit, mais ça n’arrive pas forcément et ce n’est pas très grave. Le cinéaste qu’on connaît, dont on attend le film et qu’on sent qu’il y a quelque chose à défendre, on dit, : « Il va falloir en parler. » Mais parfois, les rendez-vous sont manqués, et ce n’est pas très grave.

Une fois de plus, on ne sent pas d’obligations journalistiques de couvrir les gros titres, ce qui permet justement une belle ouverture parce que parfois il y a des textes sur des films qui arrivent un peu par surprise, tandis qu’un film plus attendu peut être un film plus confidentiel, qu’on n’attendait pas, ça peut être le cas de comédie américaine, ça va être un texte sur ce film-là qui arrive, tandis qu’il y a peut-être un cinéaste prestigieux qui sort un film à côté. Comme ça, il y a de l’imprévu, ce que je trouve très bien à Zinzolin, finalement, ça participe de ce qu’on cherche à éviter, les hiérarchies de cinéastes, les hiérarchies de goûts. Le cinéma de manière horizontale, c’est très bien, les textes arrivent un peu spontanément.

Christophe Kantcheff 

Sidy, les équipes, c’est vous ?


Sidy Sakho

Oui. Depuis six mois, je suis ma seule équipe. C’est assez plaisant et reposant car il n’y a rien à négocier sinon avec soi-même. Pour avoir officié plus de quatre ans en équipe, je sais de quoi je parle. Je voudrais quand même dire ici que je ne suis pas "contre" l’actualité, il y a même souvent quelque chose de jouissif dans le positionnement d'une rédaction pour ou contre un film au moment de sa sortie.

Dans Il était une fois le cinéma, on avait un comité de rédaction. On avait trois rubriques. J’étais entouré des chefs de rubriques avec lesquels je parlais régulièrement des choix à faire, effectivement des films à défendre impérativement, des films à rattraper si on les avait manqués en projection de presse. Ce travail de préparation en amont de la sortie, de mise en place d’un "coup", de négociation d’une grande rencontre avec un cinéaste, de gestion de l’inattendu a quand même quelque chose d’excitant. Je ne pense pas qu’internet doive sonner le glas de la critique de cinéma, du journalisme de base. On avait des réunions de rédaction régulières avec les membres principaux de l’équipe afin de se faire une idée des goûts et dégoûts de chacun. Parce que, mine de rien, sur le net comme ailleurs, voisinent dans un même support des sensibilités, des personnalités très différentes, pouvant logiquement aboutir à de très fortes oppositions. Ce n’est pas toujours facile à gérer, ça peut même être épuisant sur le long terme lorsque l'on avance dans une zone aussi mouvante et insécure qu'un site.

Sachant qu'Il était une fois le cinéma n’a aucun revenu publicitaire, que tous ceux qui y collaborent sont et resteront bénévoles, il n’est pas évident d'y occuper longtemps un poste à lourde responsabilité (rédac chef, mais tout aussi bien chef de rubrique, relecteur...). Les rédacteurs n’ayant d'une certaine manière pas grand-chose à perdre en cas de discorde avec la direction, sinon une place de contributeur bénévole, avoir une réelle autorité sur le long terme, garder soi-même la motivation de motiver les troupes n’est pas chose évidente. S’il y a des jeunes parmi vous qui aspirent à devenir critiques de cinéma, je me permettrais amicalement de vous leur conseiller une option numéro deux. Quelque soit le support, le titre pour lequel on écrit, la fonction reste très précaire. Difficile de se consacrer pleinement à cette activité. Moi-même, jusqu'à cette rentrée, j’étais assistant pédagogique dans un collège. Soit une activité très extérieure à la critique, même si des occasions peuvent se présenter de mettre en valeur cette vocation lors de rares sorties culturelles. 

Christophe Kantcheff

Sur l’injonction par rapport aux films qu’on veut rattraper, c’était moins dans l’idée qu’on veut rattraper un film oublié, qu’on trouve important finalement et qui n’aurait pas été traité, que – dans la mesure où, en l’occurrence, vous parlez beaucoup de la critique, vous la pensez – de réagir à la façon dont un film a été reçu dans la presse papier et sur d’autres sites que vous trouvez très problématique ou discutable. Et là, vous dites, : « Il y a vraiment quelque chose à travailler sur la manière dont le film a été reçu » pour essayer de démonter un phénomène médiatique, même si vous ne découvrez pas la lune… On sait un peu comment ça fonctionne, mais sur quelques exemples précis, c’est toujours très intéressant.



Sidy Sakho

On avait tenté quelque chose à l’époque d’Il était une fois. Il y avait bien la publication d’une critique "officielle" au moment de la sortie mais on n’était pas contre publier ensuite, deux à trois semaines après, pas exactement une "contre-critique" s'opposant frontalement à l'article précédent, mais un texte à froid, un article revenant avec un peu plus de recul sur le film, éventuellement sa réception. Il ne s'agissait pas forcément de parler directement des articles publiés dans la presse mais d'essayer de se dire en quoi un succès était attendu ou non, en quoi nous avions nous-mêmes suivi le mouvement, là où on aurait pu avoir une approche un peu plus décalée. C’était le lieu, non pas des regrets, mais d’une critique de notre propre système, je crois assez intéressante, permettant surtout de montrer qu’il existe souvent, comme je le disais tout à l’heure, de réelles divergences au sein d'une rédaction. 

Je pense que le consensus est de toute façon illusoire. On essaie en cas de "crise interne" de faire bonne figure pour ne pas perdre le lecteur mais je pense qu’en définitive, la critique est fondamentalement le lieu de la discussion et de l’opposition. Chaque article, d’une manière ou d’une autre, parle aux autres. Lorsque l’on décide d’écrire à son tour, de parler à son tour des films, c’est aussi pour interpeller le confrère, le collègue. La critique ciné n’est pas du tout, ou en tout cas ne devrait pas être le lieu de la solitude ou de l’égocentrisme. Fondamentalement, cette discipline a pour vocation de conduire à de l'ouverture, du débordement.

Christophe Kantcheff

C’est d’ailleurs ce que dit Thomas Clolus, que chaque intervention critique surgit dans un espace public et d’ailleurs c’est l’ensemble des critiques qui forment cet espace public.



Sidy Sakho

Bien sûr ! Il émet le souhait, pas forcément utopique, d’un début de débat, que les critiques sortent de l'écriture mécanique de leurs petits textes respectifs pour essayer d’engager une forme de conversation avec ce qui les excède. Maintenant, la question se pose : est-ce qu’un jour Michel Ciment aurait envie de dépasser le stade du tacle à longueur d'éditos de ses vieux ennemis des Cahiers… Cette question de ce qui circule au-delà de nos petits articles est forcément passionnante. Je ne sais pas si j’ai initié un début d'évolution à travers cette série d’interviews, mais c’est aussi ce à quoi j'aspire : proposer aux critiques un espace, non pas de défoulement, mais de réflexion autour de leur propre silence. Ce que dit Thomas Clolus est je crois assez décisif.

Christophe Kantcheff

Silences qui peuvent être des autocensures ou des silences de protection…



Sidy Sakho

Il y a des critiques plus installés que d’autres, qui parfois s’abstiennent de parler de leurs confrères parce qu’ils n’y gagneraient pas. Je pense que c’est plus facile pour Raphaël ou Thomas de désigner ce qui ne correspond pas à leurs attentes parce que, précisément, eux n’ont pas grand chose à perdre ! Lorsque la critique n’est pas son vrai métier, qu’on n’a pas de réel statut officiel, on peut faire montre, lorsque la parole nous est publiquement donnée, d'une décomplexion assez jouissive d’ailleurs pour le lecteur. Christophe, toi justement qui a officié aux Cahiers, tu peux avoir ton mot à dire sur ce point...



Christophe Beney

Concernant les Cahiers ? Parce que je parle sous le contrôle d’Emmanuel Burdeau qui a été mon rédacteur en chef à l’époque, c’était une époque absolument formidable de ma vie et tout s’est passé impeccablement bien ! (rires)


Christophe Kantcheff

On va reprendre sur la question des équipes pour Accréds. J’ai l’impression que des quatre, c’est le site le plus « professionnel », disons, avec une vocation professionnelle. Du coup, commencez par la question de l’aspect économique.


Christophe Beney

Si ça semble professionnel, c’est que nous sommes de très bons faiseurs. On se comporte comme des professionnels, mais c’est vrai qu’on ne se repose pas sur une structure d’entreprise avec des équipes rigides, des entrées d’argent régulières, un planning financier parfait. En revanche, on a eu la chance de pouvoir s’appuyer sur des amitiés ou des partenariats qui nous ont rendu de précieux services. Par exemple, le site internet dont on dispose à l’heure actuelle, est le cadeau d’une entreprise parisienne, GSKL, que notre démarche a convaincue, et qui, gratuitement a réalisé pour nous le site internet que nous voulions. Ça, c’est quand même un précieux cadeau ! On avait le choix entre une console de jeu et un site internet, on a choisi le site.

Jusqu’à présent, on ne le regrette pas. Un site internet qui nous permet ensuite de faire facilement ce qu’on veut à l’intérieur, parce que nous ne sommes pas webmaster. Nous sommes journalistes, on comprend la technologie jusqu’à un certain point et surtout, on ne veut pas être limités par cet aspect. Si on passe trois heures à écrire un article et qu’il faut douze heures pour le mettre en ligne, ce n’est pas possible. Il faut qu’on puisse passer un quart d’heure tout au plus à le mettre en ligne parce que, et ça c’est l’un des bénéfices ou un des défauts de l’organisation d’internet, un rédacteur contrôle son article de la première ligne jusqu’à la livraison totale. Ce n’est pas du business to business, mais c’est directement du producteur au consommateur sans aucun intermédiaire, à part nos relectures mutuelles, parce qu’on travaille évidemment en équipe.



Christophe Kantcheff

Dans la sociologie du travail, on appelle ça aussi l’individuation du travail, c’est-à-dire quelque chose qui coupe les solidarités. Ça peut être aussi négatif.



Christophe Beney

Exactement, ça peut être aussi négatif.

Alors on contrebalance ça par une âme profondément communiste, une collectivisation du travail, partage des bénéfices, partage de la nourriture, partage des lits, on a une organisation très solidaire. Ca permet de contrebalancer ce risque d’individuation, d’individualisation qui donnerait un site fragmenté à l’arrivée. Or, ce n’est pas le but.

C’est pour ça aussi que nous n’avons pas de manifeste, c’est pour ça que nos présentations se limitent quasiment à nos noms parce qu’on a envie qu’Accréds existe comme une entité qui vaut pour elle-même et pas seulement un endroit où chaque rédacteur essaie de tirer son épingle du jeu. C’est une approche dont l'humilité est destinée à tempérer nos egos (démesurés évidemment, sinon nous ne serions pas critiques).

Au comité de rédaction, nous sommes trois, les trois co-fondateurs du site et nous avons pu bénéficier au fil du temps d’un petit réseau de rédacteurs, cinq, six personnes environ qui sont choisies d’abord pour des raisons sentimentales. Les qualités rédactionnelles comptent, mais il faut une vision du cinéma, un même humour, et qu’il y ait des affinités qui se créent avant d’écrire pour le site. Parce qu’on a un fonctionnement, comme je vous dis – le fait de courir les festivals – qui implique une vie en commun. On ne nous envoie pas un article par e-mail, voilà il est fini, publie-le. Non : on passe nos journées ensemble. Donc il vaut mieux que ça se passe bien.




Christophe Kantcheff

Et vous avez tous des activités professionnelles ?


Christophe Beney


Oui, oui, Accréds est une activité complémentaire pour chacun de nous. Moi, je suis enseignant-chercheur à l’université, Andy, l’autre co-fondateur, a une activité dans la VOD, Renaud a une activité de journaliste pigiste programmateur. Pour chacun de nous, notre site ne peut pas constituer une source de revenus viable pour le moment. 

Ce qu’on recherche, en revanche, c’est un équilibre, que ce qui rentre compense ce qui sort. Au moins, qu’on ne perde pas d’argent. Ça, c’est le principal souci, sinon je peux lancer une souscription, si vous voulez nous payer notre prochain voyage à Venise, vous êtes les bienvenus. On n’a jamais fait de souscription, on peut tenter, je ne sais pas si cela marcherait.

mardi 18 décembre 2012

Christophe Kantcheff

Merci à tous. La richesse des propos de cette table ronde et le sentiment de frustration qui nous gagne alors que nous devons la clore montrent que cette table ronde en annonce d'autres, elle n'est une première étape dans la réflexion collective sur la critique sur le web. Donnons-nous donc rendez-vous dans un proche avenir pour prolonger ce moment d'échanges que le festival de la Roche-sur-Yon a bien voulu ouvrir. Merci et au revoir.





Nota bene : l'enregistrement a été brutalement interrompu au moment de la dernière question… nous n'avons donc pas trace des quelques échanges avec la salle, eux-même abrégés parce qu'il fallait libérer la salle. A suivre…